Metz : Christian Haberey et Alexandre Bianchi, une galette à quatre mains et une fève à 1 500 euros

Christian Haberey est boulanger-pâtissier, Alexandre Bianchi bijoutier-joaillier. Rien à voir, donc, sauf que si : le premier a élaboré une galette des rois, dans laquelle le second glissera une poignée de médailles sculptées à la place des traditionnelles fèves durant les trois premiers week-ends du mois de janvier. Une action qui rend hommage aux 800 ans de la cathédrale de Metz, comme au savoir-faire de ces deux artisans locaux.

 

Il pleut, mais les visages d’Alexandre Bianchi et de Christian Haberey rayonnent. Les deux artisans reçoivent dans le bureau du premier tôt le matin, le 20 décembre, frais et dispos alors qu’ils viennent chacun de passer une nuit agitée : le premier s’est couché « à deux heures du matin » pour terminer de « forger à la main » plusieurs médailles dorées à l’effigie d’un célèbre monument messin ; à la même heure, le second était déjà réveillé depuis cinquante minutes pour « façonner » ses premières galettes des rois, histoire de s’immerger tranquillement dans l’Épiphanie qui pointe le bout de son nez, début janvier.

 

Quel rapport entre des bijoux et un gâteau à pâte feuilletée ? Les 800 ans de la cathédrale de Metz, pardi. Vous ne comprenez toujours pas ? Christian Haberey, en t-shirt décontracté, rejoue la scène au souvenir : « J’étais en train de préparer des bonbons au chocolat, quand j’ai soudain eu une idée : pourquoi ne pas glisser de véritables médailles dans mes galettes des rois cette année, pour honorer l’anniversaire de la cathédrale Saint-Étienne ? », s’est interrogé le boulanger-pâtissier, quelques jours avant Noël. « La question d’après, c’était de savoir à qui j’allais m’adresser. Je connaissais la manufacture Bianchi pour passer régulièrement devant elle, à Maizières-lès-Metz. Et rien que le terme de manufacture, ça chante à mes oreilles. »

Il ne s’attendait probablement pas à ce que sa proposition roucoule aussi bien aux pavillons d’Alexandre Bianchi : « Au moment de son appel, j’avais abandonné depuis un an mes propres recherches pour réaliser des fèves en bijoux avec un partenaire », révèle le bijoutier-joaillier, qui a repris et développé l’entreprise d’horlogerie créée par son père. « J’ai immédiatement accepté cette collaboration, parce qu’elle mêle une trilogie de savoir-faire : les deux nôtres, et celui des bâtisseurs de cette cathédrale. »

« Toutes ces sculptures, c’est de la folie »

« Christian façonne ses galettes à la main, moi c’est l’or et l’argent, eux c’était la pierre », rapproche Alexandre Bianchi. La fusion de ces trois patrimoines s’installe dès le 3 janvier en vitrine des deux enseignes tenues par Christian Haberey à Metz (place d’Armes et rue des Trois-Évêchés) : d’un côté, une galette des rois feuilletée dont la pâte a été réalisée avec du beurre à 99% – « et non 80%, comme c’est souvent le cas ailleurs » – puis garnie d’une véritable crème d’amandes – « mieux que la frangipane, qui est coupée à la crème pâtissière pour alléger les coûts ». De l’autre, trois médailles numérotées sur lesquelles le bijoutier a redessiné les contours de la cathédrale pour « valoriser des éléments majeurs de son architecture comme sa rosace ou la tour de la Mutte », tout en les tenant sur une surface minuscule.

Chaque week-end, l’une de ces pièces d’orfèvrerie en vermeil (de l’argent recouvert d’or) se nichera dans une galette des rois à la place d’une fève traditionnelle ; au bout du mois, ceux qui les auront trouvées se verront offrir à leur place une médaille en or pur à 750 millièmes (18 carats, soit 75% de métal précieux) et sa bélière, cet anneau servant à l’accrocher à un cou, dont l’extrême finesse de l’ouvrage constitue la marque de fabrique d’Alexandre Bianchi.

Les 800 ans de la cathédrale valaient bien la débauche créative de ces deux artisans, qui en sont intimement amoureux : « Ma pâtisserie est installée face au monument depuis huit ans, mais je commence seulement à le découvrir. Toutes ces sculptures, c’est de la folie », souffle Christian Haberey. « Ce travail d’artisans d’exception fait encore rayonner la ville aujourd’hui », poursuit Alexandre Bianchi. « Impossible de passer devant la cathédrale sans être insensible à ce sens du détail, qui niche la beauté jusque dans des endroits inaccessibles à la vue. »

La passion des gâteaux et des coucous

Si les 800 ans de la cathédrale ont réuni les deux artisans autour d’un projet commun, leurs parcours respectifs n’ont pas attendu cet anniversaire pour jeter des passerelles entre leurs deux professions manuelles : chacun d’eux a été envoûté par une expérience familiale qui, une fois embrassée comme métier, s’est transformée en vocation. « J’avais un oncle boulanger, à qui j’allais donner des coups de main au fournil dès l’âge de 12 ans. J’ai toujours aimé faire des gâteaux et créer de mes mains, alors j’ai choisi cette voie sans me poser de questions », rembobine Christian Haberey. Pareil ou presque, pour Christian Bianchi : « Quand j’étais tout petit, on habitait au-dessus de l’atelier d’horlogerie de mon père. Il y retournait chaque soir après le dîner pour travailler, et il a dû me retrouver un nombre incalculable de fois endormi dans les escaliers, bercé par le bruit des coucous, les réveils qui sonnent et ses agacements », se souvient le bijoutier-joaillier. « J’aime travailler seul, parce que je retrouve cette tranquillité vécue gamin. »

Davantage porté sur l’imaginaire que son père « cartésien », Alexandre Bianchi a profité dans sa jeunesse d’une épreuve de son diplôme des métiers d’art en bijouterie-joaillerie pour confectionner des « bijoux à manger » : « Il s’agissait de petites structures en or et en argent, servant de plateau à des mets raffinés », rejoue l’intéressé. Christian Haberey, lui, a « fait créer beaucoup de bijoux pour son épouse » et toujours apprécié « les belles horloges et les belles montres ».

S’il n’en porte pas au poignet, un réveil « sonne tous les matins à 1h10 » pour le diriger vers son lieu de travail. Qu’il rejoint « sans boule au ventre », mû par une « passion » immuable pour son activité. « L’artisan, c’est quelqu’un qui ne regarde pas le temps passer », accrédite Alexandre Bianchi. « Les gens voient du travail, là où nous ne voyons que du plaisir. » D’où leurs sourires, même les jours de pluie.

Une galette à 1 500 euros

En ces premiers jours de l’année 2020, l’Épiphanie peut se révéler aussi enrichissante qu’un tirage de loto. Tout du moins, pour les clients du boulanger-pâtissier Christian Haberey : trois de ses galettes des rois cacheront cette année, à la place d’une fève, un médaillon en vermeil (de l’argent recouvert d’or) forgé par l’artisan joaillier Alexandre Bianchi, de Maizières-lès-Metz. Ceux qui les découvriront pourront, une fois leur trouvaille signalée à la boulangerie, l’échanger contre un médaillon en or massif de 750 millièmes, d’un poids de dix à douze grammes et d’une valeur hors-taxes de 1 500 euros. « Mieux valait ne pas nicher directement ces médaillons dans la galette, pour les préserver de la griffe d’un coup de couteau », explique le bijoutier. Ils seront donc délivrés début février aux trois chanceux à la manufacture Bianchi de Maizières-lès-Metz. En attendant, seules deux adresse sont à retenir à Metz pour tous les joueurs et amoureux des gâteaux à la pure crème d’amandes : la pâtisserie Jean, sur la place d’Armes, et la boulangerie des Trois Évêchés, dans la rue du même nom. C’est là que Christian Haberey, propriétaire des deux enseignes, glissera durant les trois premiers week-ends du mois de janvier une médaille, en lieu et place de l’habituelle fève, au sein d’une galette. Ne reste plus qu’à choisir sa taille (quatre, six, huit ou dix personnes) et à savourer. Et, peut-être, exulter.

Article journal La Semaine publié le 6 janvier 2020